Il est d'une importance capitale et entraîne une lourde responsabilité du vétérinaire, car de la conclusion dépend l'indication ou non du traitement des personnes contaminées : le vétérinaire doit donc parfaitement savoir ce qu'il doit faire et surtout... ce qu'il ne doit pas faire.
Les éléments cliniques et épidémiologiques du diagnostic sur le terrain peuvent conduire à une suspicion de rage qui devra être vérifiée par le laboratoire, en cas de mort de l'animal.

I - DIAGNOSTIC SUR LE TERRAIN

A.ÉLÉMENTS CLINIQUES

Le diagnostic de la rage sur le terrain est très difficile, étant donné le polymorphisme clinique de la maladie.

D'une façon générale, en région d'enzootie rabique :
Toute modification du comportement habituel d'un animal (agressivité inhabituelle, abattement excessif...), toute gêne de la mastication ou de la déglutition, doivent être considérées comme des éléments de suspicion. Ces éléments doivent être étudiés à la lumière d'informations épidémiologiques recueillies avec soin, dans un contexte clinique plus large permettant d'aboutir à un diagnostic différentiel, au cours de l'observation de l'évolution de la maladie.

Chez l'animal, il n'existe pratiquement pas d'élément clinique critère de rage :
« tout est rage et rien n'est rage ». Seule, l'évolution rapidement mortelle, avec paralysie progressive, possède une très grande valeur diagnostique : c'est pourquoi, il importe de suivre l'évolution de la maladie en entier et de ne pas sacrifier un animal suspect de rage (sauf dans une circonstance, à savoir lorsque son maintien en vie entraîne des risques incontrôlables de contamination de personnes). En effet, sacrifier un animal cliniquement suspect de rage (ou tout simplement mordeur) équivaut à supprimer le meilleur moyen diagnostique d'infirmer la suspicion (par constatation de la guérison ou de la survie de l'animal) ou le meilleur moyen d'affirmer qu'il n'était pas excréteur salivaire de virus (par constatation de son maintien en bonne santé au cours des 15 jours suivant la morsure).
La position des scientifiques vis-à-vis de la possibilité du sacrifice d'un animal suspect de rage a changé au cours du temps, en fonction de l'amélioration de la fiabilité des techniques de diagnostic expérimental de la rage. Initialement proscrit, le sacrifice d'un animal suspect cliniquement de rage est maintenant accepté (voire recommandé par l'Institut Pasteur quand des personnes ont été mordues par un tel animal). Il faut, bien sûr, dans ce cas, soumettre l'encéphale de l'animal sacrifié au laboratoire de diagnostic.

B.ÉLÉMENTS ÉPIDÉMIOLOGIQUES

Parmi ces éléments, il faut retenir le caractère sporadique de la maladie et la très grande rareté d'apparition simultanée de cas cliniques de rage (sauf exposition de plusieurs bovins à un même renard enragé, et encore, dans ce cas, les symptômes apparaissent, le plus souvent, à des dates différentes chez les animaux enragés).
Parmi les informations épidémiologiques à recueillir systématiquement, citons :
L'animal vit-il en région d'enzootie rabique ?
L'animal a-t-il séjourné en région d'enzootie rabique au cours des 12 derniers mois (animaux importés en France, animaux examinés en région indemne de rage mais transportés...) ?
Les conditions de vie de l'animal lui permettent-elles d'avoir été en contact connu (bataille d'un chien avec un renard il y a un mois...) ou inconnu (chien de chasse, bovins au pré...) avec un animal enragé ?
L'animal est-il vacciné contre la rage, comment, depuis quand et avec quelle preuve (certificat) ?
Les éléments d'ordre épidémiologique n'ont qu'une valeur relative (à cause des risques de dissimulation, d'oubli de la part du propriétaire, des échecs de vaccination...) et doivent être retenus surtout dans leurs aspects positifs de renforcement d'une suspicion clinique de rage.

C.DIAGNOSTIC DIFFERENTIEL PAR ESPECE ANIMALE

1.Chien

Rage furieuse

Rage : Changement de comportement, agressivité, crises démentielles, fugues, modification de la voix, impossibilité de la déglutition, paralysies... Evolution mortelle en 3 à 5 jours.
Maladie de Carré : Evolution plus lente, agressivité beaucoup plus faible, signes pulmonaires ou intestinaux préalables...
Toxoplasmose
Maladie d'Aujeszky : Facile, en cas de prurit démentiel à la tête chez un chien qui, sans avoir séjourné en région d'enzootie de rage, a consommé, quelques jours auparavant, de la viande ou des viscères de porc ; plus difficile, en l'absence de prurit ; évolution clinique plus rapide en général dans la maladie d'Aujeszky ; pas d'agressivité, éléments épidémiologiques...
Tétanos : Contractures, crises paroxystiques, pas d'agressivité...
Corps étranger dans l'estomac ou l'intestin : On peut constater des accès de fureur, mais il existe, en plus, des troubles fonctionnels : vomissements, constipation opiniâtre, et l'évolution est différente.
Eventuellement, bien d'autres étiologies (piroplasmose cérébrale, épilepsie, intoxication...) peuvent provoquer des tableaux pouvant prêter à confusion avec une rage furieuse. Par ailleurs, deux maladies peuvent coexister ou se succéder.

Rage paralytique

Maladie de Carré en fin d'évolution : Evolution plus longue en général.
Affections immobilisant la mâchoire inférieure :
Corps étranger dans la gorge : précautions pour l'examen ; radiographie...
Luxation du maxillaire inférieur : mobilisation difficile de la région.
Paralysie de la mâchoire inférieure : absence d'extension de la paralysie aux autres appareils.
Intoxication par métaldéhyde : Paralysie, coma, salivation abondante, mort en 24 heures ou guérison.
Botulisme : Paralysie générale.
Cause traumatique : Compression médullaire (tumeur, accident...) : évolution différente.
Etc.

2.Chat

Rage : Changement de caractère et d'habitudes ; agressivité, paralysies...
Maladie d'Aujeszky : En cas de prurit mutilant à la tête (moins de 50 p. cent des cas), la distinction est facile ; en plus, peu ou pas d'agressivité, évolution clinique plus rapide, éléments épidémiologiques... ; en l'absence de prurit, la distinction est plus délicate.
Corps étranger : Renseignements fournis par un examen clinique très prudent, radiographie...
Angine : Evolution différente, guérison.
Intoxication par métaldéhyde : Cf. chien.
Intoxication par les organo-chlorés : Crises d'excitation avec phases de dépression, trémulations, convulsions...
Etc.

3.Bovins

Rage : Cf. symptômes 
Fièvre vitulaire
Tétanie d'herbage
Corps étranger dans la gorge
Listériose
Intoxication par sels de plomb
Paralysie du pharynx
Etc.

4.Cheval

Encéphalomyélites : Distinction difficile
Coliques : Pas d'agressivité
Tétanos : Contractures

5.Ovins et caprins

Listériose

6.Porc

Maladie d'Aujeszky : Atteint plusieurs animaux ; guérison chez les porcs à l'engrais ou adultes.
Maladie de Talfan, maladie de Teschen : Atteinte de plusieurs animaux ; guérison fréquente pour la maladie de Talfan.
Peste porcine classique sous forme nerveuse : Atteinte de plusieurs animaux.

En résumé :

Le diagnostic clinique et épidémiologique de la rage est difficile ;
La mise en observation d'un animal suspect de rage (ou simplement mordeur) est capitale ;
Les plus grandes précautions sont nécessaires lors de l'examen clinique d'un animal suspect de rage ;
Deux maladies peuvent coexister, une maladie banale et la rage ;
Du vivant de l'animal, il n'existe pas de diagnostic expérimental qui permette rapidement d'avoir une réponse ; celui-ci prend toute sa valeur sur un animal mort.

II - DIAGNOSTIC EXPÉRIMENTAL

A.PRÉLÈVEMENTS

Ils sont effectués sur le cadavre ; en cas de sacrifice par arme à feu, épargner la tête.
Cadavre entier
Pour un animal de petite taille (jusqu'à la fouine), le cadavre entier peut être envoyé au laboratoire de diagnostic.
Tête entière
Ce prélèvement, le plus simple, est à retenir pour les animaux de taille moyenne. La tête sera sectionnée à la base du cou afin de laisser le bulbe rachidien disponible pour le laboratoire.

attention : En France, les conditions d'envoi au laboratoire des prélèvements pour diagnostic de rage ainsi que la nature des laboratoires agréés sont fixées par la réglementation (cf. législation sanitaire).

Encéphale
Dans des cas particuliers (grandes espèces, éloignement du laboratoire...), il est préférable de prélever les centres nerveux, encéphale et bulbe en totalité.
Ces prélèvements doivent être faits avec de grandes précautions pour éviter les contaminations pendant la décérébration.
Dans certains cas particuliers (diagnostics épidémiologiques en série, nécessité de conserver le crâne intact, souci des contaminations humaines, prélèvements effectués sur le terrain loin du laboratoire d'analyse), il est possible de prélever les différentes portions de l'encéphale à l'aide d'un simple chalumeau (« paille ») introduit par le trou occipital, sans décérébration.
Les prélèvements doivent être accompagnés de commémoratifs détaillés et expédiés sous protection du froid.
Au laboratoire, les examens porteront sur la Corne d'Ammon, le cervelet, le bulbe et le cortex (lorsque la tête entière a été envoyée et dans des cas particuliers, la recherche du virus peut porter sur les glandes salivaires).
Différentes techniques peuvent être utilisées. En France, actuellement, les deux seules employées en routine sont l'immunofluorescence et l'inoculation aux cultures cellulaires. Les autres techniques citées ont été antérieurement employées ou sont encore utilisées dans d'autres pays.

B.IMMUNOFLUORESCENCE DIRECTE

Des calques de corne d'Ammon sont soumis à l'action d'un conjugué fluorescent antinucléocapside du virus rabique (les témoins nécessaires sont réalisés pour vérifier le bon fonctionnement de la technique et la spécificité de la réponse).
Les amas d'antigène du virus rabique sont ensuite cherchés au microscope à fluorescence et ils apparaissent sous forme de points plus ou moins gros, colorés en vert brillant sur fond noir, avec un liseré plus lumineux.
Cette réaction possède plusieurs avantages : elle est rapide (la réponse peut être fournie dans la journée), moins onéreuse que les autres techniques et elle fournit d'excellents résultats. A l'AFSSA de Nancy, elle s'est révélée faussement négative dans 2 p. cent des cas de rage en moyenne (sur 13.233 cas de rage).
Chez l'Homme, cette technique peut être appliquée du vivant de la personne suspecte, par coloration d'un calque de cornée, mais elle est difficile à interpréter (fluorescences non spécifiques). Elle est moins sensible que l'immunofluorescence réalisée sur système nerveux.

C.INOCULATION AUX CULTURES CELLULAIRES

L'inoculation à des cultures cellulaires de neuroblastomes a remplacé l'emploi des souris dans la plupart des laboratoires assurant le diagnostic de la rage en Europe de l'Ouest et Amérique du Nord. La réponse est plus rapide mais l'entretien de la lignée cellulaire est relativement délicat.

D.COLORATION DE SELLERS

Le principe est d'appliquer le colorant de Sellers sur un calque encore humide de Corne d'Ammon ; on recherche ensuite, au microscope, les corps de Negri qui apparaissent en rouge violacé. Ce procédé permet une réponse très rapide (dans la demi-heure suivant la réception du prélèvement), mais ne donne pas de bons résultats sur des encéphales qui ne sont pas en excellent état de conservation. Pour cette raison, il a cédé la place à l'immunofluorescence et n'est plus utilisé en France.

E.TEST IMMUNOENZYMATIQUE

Au lieu d'être couplé à un fluorochrome, le sérum antirabique peut être couplé à une enzyme (peroxydase) qui sera révélée par addition de son substrat spécifique. Le matériel suspect (ex. : Corne d'Ammon) est alors déposé dans une cupule plastique dans laquelle est ajouté le sérum marqué. La réaction antigène-anticorps est alors révélée (après lavages successifs) par addition du substrat de l'enzyme. La réaction peut être lue au spectrophotomètre ou même à l'oeil nu.
Cette technique est objective (mesure d'une densité optique) et possède une sensibilité très voisine de l'immunofluorescence sans nécessiter le même entraînement régulier.

F.HISTOPATHOLOGIE

Les coupes d'encéphale sont colorées par une technique (hémalum-éosine, ou technique de Mann...) puis examinées au microscope optique en vue de la recherche des lésions non spécifiques et des lésions spécifiques.
Le délai nécessaire pour la réponse (environ 1 semaine) est plus long qu'avec les techniques précédentes.
Les corps de Negri peuvent manquer, notamment si l'animal a été sacrifié, ou l'examen peut être impossible lorsque le prélèvement a été fixé après un trop long délai.
A l'inverse, il faut distinguer les corps de Negri de formations ou d'inclusions rencontrées chez des animaux sains ou infectés par d'autres virus.
La sensibilité des techniques histologiques est fortement dépendante de l'état de conservation du prélèvement à son arrivée au laboratoire. Sur des prélèvements de routine reçus à l'AFSSA de Nancy., la coloration de Mann sur coupe incluse en paraffine détecte 60 à 95 % des cas de rage. Sur 50 prélèvements de renards enragés en bon état, la même technique détecte 100 % des cas après 5 jours en formol à 20°C et en détecte encore 98 après 20 jours.
Cette technique vient donc en dernière position par ordre décroissant d'intérêt, derrière l'immunofluorescence, l'inoculation aux cultures cellulaires et l'inoculation aux souris.

G.INOCULATION AUX SOURIS

Après broyage, le prélèvement est inoculé par voie intra-cérébrale à des souris de 3 à 4 semaines observées ultérieurement pendant 28 jours au moins.
Pour accélérer l'obtention du résultat, on peut sacrifier deux souris aux jours 6, 12 et 18 et on soumet un calque de leur cerveau à l'immunofluorescence (cette technique peut révéler la présence d'antigène rabique dans le cerveau de souris avant l'apparition des premiers signes de rage).
Elle fournit de très bons résultats mais comporte des inconvénients, en particulier la lenteur de la réponse et le prix de revient.
Ses défaillances chez les animaux enragés sont du même ordre de grandeur que celles de l'immunofluorescence mais ne portent pas sur les mêmes cas : à l'AFSSA de Nancy, une réponse négative a été enregistrée dans 2 p. cent des cas de rage (13 233 cas de rage).

H.AUTRES TECHNIQUES

Des techniques de détection de l'ARN viral (par sondes nucléiques et par amplification de la réaction de polymérisation en chaîne ou P.C.R.) ont été étudiées dans certains laboratoires de recherche. Elles pourraient être proposées aux laboratoires de diagnostic si leur coût, leur délai d'obtention de réponse ou leur spécificité s'avéraient plus intéressants que ceux des techniques actuelles.

En résumé, les techniques utilisées habituellement en France pour le diagnostic de la rage au laboratoire sont l'immunofluorescence et l'inoculation aux cultures cellulaires. Compte tenu des défaillances de chacune de ces techniques, il n'est pas possible de conclure à l'absence de rage au vu des résultats d'une seule technique. Le laboratoire met donc en oeuvre systématiquement ces deux techniques.
Les spécialistes de l'Institut Pasteur de Paris considèrent qu'un animal qui a fourni une réponse négative à ces deux techniques n'hébergeait pas de virus dans ses glandes salivaires et, par conséquent, ne risquait pas d'avoir contaminé une personne mordue.

I.SÉROLOGIE

Différentes techniques sérologiques sont disponibles pour la recherche des anticorps antirabiques : séroneutralisation sur souris ou en culture cellulaire, immunofluorescence indirecte, ELISA...
Ces techniques ne sont guère utilisées pour le diagnostic (uniquement chez l'Homme pour chercher les anticorps antirabiques dans le sang et dans le liquide céphalo-rachidien) mais servent pour contrôler l'immunité post-vaccinale (contrôle obligatoire pour les carnivores domestiques importés en Grande-Bretagne) ou pour des études épidémiologiques. Toutefois, les anticorps monoclonaux sont utilisés chaque fois qu'il est important de reconnaître le type de virus en cause, par exemple lors de cas de rage erratiques (origine géographique de la souche) ou en cas de suspicion de rage vaccinale après utilisation de vaccin à virus vivant.